Au sein de la Métropole du Grand Paris, l’épidémie, au printemps, a d’abord tué les personnes âgées des villes pauvres. Vous attendiez-vous à ce surcroît de décès dans les quartiers populaires ?
On a pris une claque ! Mais on n’a pas été surpris. On sait que les écarts de surmortalité ont des déterminants sociaux. En Ile-de-France, ces inégalités sont plus violentes qu’ailleurs, puisque des territoires très très riches en côtoient de très très pauvres. L’agence régionale de santé a, depuis dix ans, placé ces disparités au cœur de sa stratégie d’action. Mais ce qui nous a frappés, c’est la soudaineté de la surmortalité dans certains quartiers et son ampleur. Les statistiques ont quitté le champ théorique pour trouver une traduction concrète et immédiate. On l’a pris en pleine figure.
Vous avez commandé des études sur cette surmortalité. A quoi vous ont-elles servi ?
On a demandé deux études à l’observatoire régional de santé Ile-de-France parues en avril et en juillet, commandées en plein cœur de la crise. Les données sur les décès à l’échelle de chaque commune ont permis de mesurer le phénomène. Et de le vérifier. Elles ont montré que le Nord-Est – la Seine-Saint-Denis autour de Saint-Denis, Bobigny, Tremblay-en-France –, le sud de l’Essonne – Grigny – mais aussi le Val-de-Marne – Valenton, Créteil, ou bien encore certaines villes nouvelles – étaient les plus touchés. La traduction concrète de ces études a été pour nous immédiate. Notre choix a été de dire : « On va là où l’épidémie a frappé. » L’ARS a installé ses premiers barnums de dépistage à Clichy-sous-Bois, Gennevilliers, Saint-Denis, Sarcelles, Villiers-le-Bel et à Paris, dans le 19e arrondissement.
Comment expliquez-vous la polarisation sociale de l’épidémie ?
On a des facteurs de plausibilité, mais non de causalité. Le virus a plus circulé là où habitent les travailleurs dits « essentiels ». L’habitat surpeuplé et souvent dégradé a joué un rôle décisif. La forte prévalence du virus s’est conjuguée avec une plus grande fragilité de populations qui présentent plus de copathologies (diabète, obésité).
Il n’y a pas eu d’entorses collectives aux gestes barrières, au confinement, mais la dureté de la vie dans ces quartiers fait que l’attention à soi est moindre, que l’enclavement a pu rendre plus difficile l’accès aux masques, à l’alimentation. On ne sait pas dire quelle est la part de responsabilité de la pénurie d’offres de soins. Mais l’organisation du système de santé est centrée sur le cœur de la région. Ce qui fait toute la difficulté. On a mis au point une régulation des hôpitaux à l’échelle régionale pour éviter un décalage de l’accès à la réanimation pour les non-Parisiens.
Le confinement n’a-il pas accru les risques de contamination dans ces quartiers ?
Au contraire. Le confinement était nécessaire. Si l’épidémie avait continué, les écarts de mortalité n’auraient pas été de 1 à 3 mais de 1 à 5. En revanche, on peut se dire qu’on aurait pu mieux accompagner les conséquences du confinement. Rester chez soi était beaucoup plus difficile à vivre pour les populations les plus défavorisées.
N’aurait-il pas fallu isoler davantage les personnes contaminées qui vivent dans des logements suroccupés ou dans des conditions précaires ?
Pour les personnes sans abri ou hébergées, on a mis en place un système de centres d’hébergement qui a accueilli plus de 1 400 malades du Covid-19. La réponse a été plutôt efficace. En revanche, l’isolement des personnes moins précaires – dans des chambres d’hôtel notamment – a été moins nécessaire et moins massif.
Allez-vous ajuster votre stratégie face à la deuxième vague ?
Oui. On a tiré les leçons et on travaille de manière différente. Le principe essentiel est d’enrôler davantage les représentants de la vie sociale : on souhaite par exemple travailler de plus près avec tous les bailleurs sociaux, les associations de locataires, pour qu’ils mènent des actions communes avec l’ARS vis-à-vis des habitants, pour les aider au respect des règles d’hygiène, pour savoir comment protéger les personnes âgées.
On souhaite aussi mieux mobiliser les responsables et syndicats des branches professionnelles à hauts risques (nettoyage, commerces). L’importance dans les quartiers populaires des travailleurs industriels ou des salariés des métiers indispensables nous incite à être encore plus attentifs à la prévention autour du milieu professionnel, dans ces quartiers. On essaye de soutenir les associations de proximité déjà engagées dans des opérations de prévention et d’incitation au port du masque et d’élargir leur cercle, y compris avec des soutiens financiers. Le tissu social doit devenir notre allié, plus encore que lors la première vague. On va aussi travailler plus étroitement avec les élus dans le cadre des contrats locaux de santé, pour mieux protéger les personnes vulnérables.
Qu’est-ce qui permet de penser que cette fois l’épidémie frappera moins durement les communes défavorisées ?
Je ne peux prendre aucun pari. Le maintien de la scolarité va permettre de limiter les effets négatifs observés lors du premier confinement. Pour les enfants, la vie est parfois plus facile quand ils ne restent pas à la maison. Même si les deux objectifs restent pour nous de faire que l’hôpital tienne et de protéger les Ehpad et les personnes âgées, la priorité sera toujours d’aller là où l’épidémie frappe plus fort. Et elle frappe plus fort là où il y a des difficultés sociales. L’ampleur de ce chantier des inégalités est considérable.
Les responsables politiques en ont-ils pris conscience ?
Pour beaucoup, la question était encore très théorique il y a six mois. Il me semble que le constat est partagé aujourd’hui. Le Ségur de la santé aborde ce thème. La Métropole du Grand Paris vient de lancer un diagnostic métropolitain sur les enjeux de santé. Mais l’ARS continuera de se battre bec et ongles pour que les rapports entre l’habitat, les transports, l’enclavement et la santé soient plus encore mis en avant dans le débat public, et pour mettre des moyens supplémentaires sur ces questions.