Colloque scientifique "Précarités et aléas climatiques : nouveaux défis, nouvelles réponses"
Le 15 octobre après-midi, à Nîmes Université Site Vauban.
Eric PELISSON, Commissaire à la lutte contre la pauvreté auprès du Préfet de Région Occitanie : "Constats et actions contre la pauvreté en Occitanie"
D’abord une question de mesure : une pauvreté élevée (17,5% en 2021, en attente des statistiques INSEE pour 2022 et de la mesure de la pauvreté des publics non domiciliés, absents de la mesure qui part des données du recensement), diversement présente en région (échelles régionale, départementale, locale). Une mesure quantitative à compléter par la mesure qualitative de la pauvreté en conditions de vie.
La lutte contre la pauvreté : le rôle des dispositifs de droit commun. Compétences respectives de la protection sociale, des départements, des CCAS, de l’Etat.
La stratégie 2018-2023 de lutte contre la pauvreté et le pacte 2024-2027 des solidarités : une approche matricielle de la lutte contre la pauvreté et un appui financier de l’Etat aux collectivités.
Les défis actuels : la poursuite tendancielle de l’augmentation de la pauvreté, la diminution des subventions aux associations, la transition écologique juste et solidaire.
Table ronde 1 "Les personnes âgées précaires, premières victimes des fortes chaleurs
Dr Bernard LEDESERT, médecin de santé publique, Creai-ORS Occitanie
Le réchauffement climatique constitue aujourd’hui un enjeu sanitaire majeur, marqué par l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur. Ces épisodes affectent particulièrement les personnes âgées, et plus encore, celles en situation de précarité, dont les conditions de logement, l’isolement social et l’état de santé réduisent les capacités d’adaptation. C’est dans ce contexte que le Creai-ORS Occitanie a répondu à un appel à manifestation d’intérêt de la Fondation Hospitalière pour la Recherche sur la Précarité et l’Exclusion sociale.
Dans ce cadre, elle finance depuis fin 2024 un projet visant à construire un indicateur composite qui permet de classer les territoires occitans selon le niveau d’exposition au réchauffement climatique des séniors précaires. Son objectif est de repérer les territoires et les populations les plus exposées et de fournir aux décideurs un outil opérationnel pour orienter les interventions. L’indicateur combine trois dimensions : la précarité sociale, mesurée par un indicateur de défavorisation reconnu au niveau national et européen ; la séniorité démographique, décrite par les données de structure d’âge et d’isolement des personnes âgées ; et l’exposition climatique, caractérisée par les températures, les dépassements de seuils de chaleur, la végétation et la densité urbaine. L’ensemble de ces informations est intégré à l’échelle fine des IRIS et agrégé par des méthodes statistiques en un score composite unique, permettant de hiérarchiser les territoires selon leur vulnérabilité. L’indicateur est en cours de test à Toulouse Métropole afin d’en évaluer la pertinence et de démontrer ses potentialités pour l’action publique.
Un rapport d’étude et une publication scientifique verront le jour en 2026. Des cartographies régionales et des tableaux de bord opérationnels permettront par ailleurs aux acteurs de visualiser les résultats et d’exploiter l’indicateur à différents niveaux territoriaux. À terme, cet outil doit permettre aux collectivités, et aux acteurs institutionnels et de terrain de cibler les zones prioritaires, de renforcer leurs politiques de prévention et d’adaptation, et d’évaluer l’efficacité des mesures mises en place en Occitanie.
Marianna DANKO, ingénieure de recherche Nîmes Université
Contexte : Prévenir des conséquences délétères de la canicule sur les personnes âgées précaires et isolées relève à la fois d’un enjeu de santé publique et d’un enjeu social. Les politiques de Santé publique ont développé les plans canicules à partir de 2004. En 2022, la très grande majorité des décès a été observée (Ballester & al., 2023) parmi les femmes âgées de plus de 80 ans (27 %) et parmi les hommes âgés entre 65 et 79 ans (13 %). Selon Santé publique France, au cours de l'épisode de canicule du début d’été 2025, 480 décès en excès ont été enregistrés dans les départements touchés, soit une hausse de 5,5% par rapport aux valeurs moyennes, les personnes âgées de 75 ans et plus représentant la quasi-totalité de ce bilan provisoire (410 décès supplémentaires, + 6,7%).
Dans les territoires les plus sensibles aux températures élevées résident 1.2 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté inférieur à 60 % du niveau de vie médian (Fontès-Rousseau & al., 2022). Certaines d’entre elles sont plus vulnérables en raison de leurs logements mal isolés. Aujourd’hui ce sont 13 % des personnes pauvres qui résident dans un territoire sensible aux fortes chaleurs diurnes et 6 % d’entre elles vivent aussi sur un territoire exposé aux fortes chaleurs nocturnes.
Les liens entre précarité et isolement social des personnes âgées ont été largement observés. En France en 2016, 27 % des personnes âgées de 65 à 79 ans et près de 50 % des personnes de plus de 80 ans vivaient seules. Ce sont principalement des femmes en part plus importante avec l’avance en âge.
Objectifs du projet de recherche : Explorer les besoins, les attentes et les motivations des personnes âgées vivant en situation de précarité et d’isolement social, avec pour objectif mettre en place des comportements de protection pour lutter contre les effets de la canicule ; Co-construction de solutions concrètes visant la prévention des risques sanitaires et sociaux lors d’épisodes caniculaires parmi ces personnes.
Méthodologie : Recherche action sur 6 territoires expérimentaux - Nîmes, Bagnols/Cèze, Uzès, La Grand-Combe (30), Sète (34), Vialas (48) - sélectionnés selon des indicateurs de précarité, isolement social et santé. Entretiens individuels, focus groupes, questionnaires et ateliers issus de l’éducation populaire adressés aux personnes âgées et partenaires.
Aperçu des conclusions : Un enjeu majeur mis en lumière par cette recherche action est que, bien que la perception du danger lié à la canicule et l'efficacité perçue des mesures de protection renforcent la motivation à se protéger, cette motivation n'entraîne pas nécessairement l'adoption concrète de comportements protecteurs. Il existe des inégalités et des incertitudes concernant l'application des mesures de protection notamment en fonction du genre, de la précarité ou du réseau de soutien.
Pr Claude JEANDEL, directeur de l'Ecole de gérontologie, Université Montpellier
Concepts de fragilité/précarité appliqués au grand âge, à leurs déterminants et aux relations entre ces derniers ; risques liés aux changements climatiques.
Yann LASNIER, délégué général Petits Frères des Pauvres : le point de vue du terrain, et des personnes accompagnées.
Le 30 septembre, la publication du 3? Baromètre « Solitude et isolement : quand on a plus de 60 ans en France » a créé une nouvelle alerte sur les réalités aujourd’hui du monde de l’âge et de la précarité. Depuis 2017, les Petits Frères des Pauvres documentent l’isolement des personnes âgées. Le constat résumé en 10 enseignements dans le Baromètre 2025 est sans appel : la situation empire. En moins de 10 ans, le nombre de personnes âgées en situation de mort sociale ; c’est-à-dire sans aucun lien avec famille, amis, voisins ou réseaux ; a augmenté de plus de 150 %, atteignant 750 000 personnes.
Parmi ses principaux enseignements, il se trouve que les personnes de 80 ans et plus et les aînés pauvres sont les populations les plus à risque de solitude et d’isolement. Il avance aussi des solutions organisées en 4 thématiques : Prévention, Repérage, Habitat et Lutte contre la pauvreté.
Lorsque les réalités du changement climatique et les pics de chaleur viennent croiser ces 4 thématiques, l’impact peut alors être encore plus fort et demande, en matière de repérage, de prévention, d’habitat inadapté et de pauvreté d’imaginer de nouvelles solutions à l’échelle nationale, dépendantes de volontés politiques déjà contraintes mais aussi souvent locales parmi lesquelles même les plus simples ou modestes, comme les oasis solidaires, peuvent apporter un début de réponse.
Table ronde 2 "Plus exposés aux risques climatiques, moins armés pour y faire face"
Paquito BERNARD, chercheur Institut de recherche en santé, environnement et travail - IRSET
Dans le sud de la France, la fréquence des journées très chaudes (>30°C) a doublé depuis les années 1950 et devrait augmenter de 2 à 4 fois d'ici la fin du siècle. Par exemple, à Nîmes, le nombre de nuits tropicales (>20°C) a triplé, passant de 8 à 24 nuits annuelles. En France, les personnes vivant dans des logements sociaux font partie des communautés les plus vulnérables à la chaleur, car elles ne peuvent pas mettre en place elles-mêmes des stratégies d'adaptation architecturales pour la prévention de la chaleur et utiliser des systèmes de climatisation.
La première étape du projet CoolSleep, dont Paquito Bernard, chercheur à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (IRSET), a un triple objectif : documenter les comportements liés à la gestion du sommeil et de la chaleur ; évaluer l’acceptabilité et de la faisabilité des kits de refroidissement et des outils d’évaluation du sommeil, et de la santé mentale ; réaliser des ateliers de retour d'information chercheurs - locataires afin de construire les bases d'une co-construction d'intervention.
La méthodologie de cette phase pilote, soutenue par la Fondation Hospitalière pour la Recherche sur la Précarité et l’Exclusion sociale, inclura des entretiens individuels, l’utilisation de capteurs de sommeil et de température, d’une application de recherche pour mesurer la santé mentale, des ateliers de retour d'information. Ceci fournira des bases solides pour co-développer une intervention acceptable et basée sur les données probantes pour aider les locataires de logement social vulnérables à la chaleur à mieux vivre durant l'été.
Malik BERKANI, directeur territorial Occitanie Croix-Rouge française
- Hébergement d’urgence saturé à Nîmes, tension sur le parc social.
- Risques climatiques et vulnérabilités à Nîmes : exposition des personnes à la rue à des conditions climatiques difficiles ; hébergement d’urgence qui permet difficilement de se mettre à l’abri des épisodes de canicule ; certaines zones d’habitat précaire particulièrement dangereuses à cause des fortes intempéries ; nombreux refus ou abandons des dispositifs d’urgence santé mentale/addictions, par inadéquation aux besoins, aggravant l’exposition climatique.
- Mesures mises en place par la Croix-Rouge française, et à mettre en place.
Laure NORCA, responsable programme mal-être agricole, MSA Midi-Pyrénées-Sud ; Céline MICHELON, administratrice de la MSA, viticultrice Mas de Bayle (34)
Constats des difficultés accrues pour les agriculteurs face à la répétition des "calamités" ; projet de recherche en cours.
Présentation du programme mal-être agricole conçu et mis en place par la MSA.
POUR ALLER PLUS LOIN - "L’impact des aléas climatiques sur la précarité : ce qu’en disent les économistes"
Patrice GEOFFRON, professeur d’économie Université Paris Dauphine-PSL, directeur de l’équipe Energie-climat, membre du Cercle des économistes
Les travaux des économistes apportent un double éclairage sur les relations entre changement climatique et précarité :
- Par des travaux d’évaluation des effets du changement climatique sur les patrimoines (ex: impact du retrait-gonflement des argiles sur l’immobilier pavillonnaire), ainsi que certains effets sur la santé publique (et leur traduction monétaire), cela dans un cadre où les mécanismes de couverture de ces risques (via des assurances privées ou des systèmes de solidarités) sont mis sous tension.
- Par des travaux sur les effets redistributifs des politiques d’atténuation (i.e. la mise en œuvre d’une fiscalité carbone, la sortie de passoires thermiques du parc locatif, l’instauration de ZFE, …) et les tensions socio-économiques qui peuvent en résulter (à l’exemple de la crise de gilets jaunes).